Henri BOULAD l Biograhie l Famille et enfance
 

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Famille

et enfance

 

Léon, Hélène,

Gilbert, Jacques, Henri, Maryse

Alexandrie - Egypte

 

©Famille Boulad,

Léon, Hélène, Gilbert, Jacques, Henri et Maryse

©Henri Boulad

dans le jardin de la maison d'Ibrahimieh

au lendemain du mardi gras

13 mars 1946

 

Mon enfance

Je suis né le 28 août 1931 à Alexandrie, 3° de 4 enfants, dans une maison de la rue Memphis, au quartier grec de Camp-de-César. Le seul souvenir que je conserve de cette maison est celui d’une vasque d’eau dans un jardin assez sauvage. Maman m'a raconté plus tard qu’à trois ans, j’ai franchi un matin les grilles de ce jardin pour m’aventurer tout seul dans les rues du quartier. Affolée, elle s’est mise à ma recherche et a fini par me découvrir flânant nonchalamment dans le souk voisin. Premier signe de cet esprit d’aventure qui sera toujours le mien.

 

L’année suivante nous déménageons pour nous installer dans le quartier d’Ibrahimieh, face au Collège Saint-Gabriel. C’est là qu’avec mes deux frères, Gilbert et Jacques, je ferai mon « primaire »

 

Famille BOULAD

La famille Boulad est une vieille famille syrienne chrétienne, catholique de rite melkite.

Elle est originaire de la ville de Damas où elle est connue dès la fin du Moyen-Age. Les Boulad étaient à l'origine des maîtres-armuriers qui fabriquaient des lames d'acier destinées aux épées et aux sabres. La famille tire son nom de cette activité qui fit sa fortune (fouladh : acier en arabe).

Les Boulad furent ensuite des maîtres-soyeux de renom jusqu'au début du 20e siècle, vendant leurs soieries dans tout l'Empire ottoman.

Les émigrations successives aux 19e puis au 20e siècles conduisirent des branches de la famille à s'installer au Liban (Bekaa, Beyrouth, Saida), en Égypte (Le Caire, Alexandrie) puis en Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et en France.

http://www.boulad.net

Ce site est dédié à leurs descendants et aux familles alliées d'ascendance syrienne et libanaise:

Absi, Ackad, Aractingi, Anhouri, Assouad, Ayrout, Ayyoub, Chédid, Debbané, Eid, Gebara, Gennaoui, Gohargui, Hathout, Homsi, Kahil, Kahla, Khawam, Maakad, Medawwar, Messadiyé, Michaka, Moukhachen, Rathle, Sabbagh, Sacy, Sabet, Sakakini, Sara, Sayegh, Sednaoui, Sioufi, Solé, Tawa, Toutoungi, Yared, Zakar, Zakkour, Zananiri, Zarifé, de Zogheb

Pour plus d'information, veuillez contacter webmaster@boulad.net

 

Souvenirs d'enfance

 

 Né en 1931 à Alexandrie, dans le quartier italo-grec de Camp-de-César, je suis le troisième de quatre enfants : deux frères plus âgés et une soeur plus jeune. On l'appelait "la petite", et moi, "le petit". On dit que j'étais le préféré de maman, son "chouchou". Cependant, elle ne manifestait jamais ouvertement cette prétendue préférence et veillait toujours à ne jamais faire de différence entre nous. 

Je suis toujours demeuré son "petit". Jusqu'à la fin de sa vie, elle me recommandait de bien manger, de bien me couvrir, de faire attention à tout. Un jour - j'avais alors 34 ans - elle vient me visiter à un hôpital du Caire, à la suite d'une petite intervention que je venais de subir. Croisant une religieuse dans le corridor, elle s'enquiert auprès d'elle :"Où est le petit ?..." - Quel petit ? - Enfin, je voulais dire le Père Boulad..."

©Photo de famille : Papa, maman, Gilbert, Jacques, Henri et Maryse : Maison d'Ibrahimieh - Alexandrie - janvier 1949

 

©Hélène Boulad (Maman), Henri : Tito 1977

 Raconter mon enfance nécessiterait un livre entier. Je puis dire en bref que j'ai eu une enfance heureuse, dans un climat familial sain et profondément religieux. Maman fréquentait l'église tous les jours. Papa, avec lequel j'ai partagé la chambre pendant toute mon adolescence, conversait à voix basse chaque soir avec Dieu avant de se coucher. Une fois sa retraite prise, il se rendait tous les matins à la messe avec une fidélité exemplaire. Nos parents nous avaient habitués très tôt à réciter ensemble au pied du lit notre prière du matin et du soir.

 Dès notre première communion, mes frères et moi dévalions chaque matin la pente de la rue menant à l'église du Sacré-Coeur tenue par les Franciscains. Là, nous assistions à un bout de messe et recevions la communion à la sauvette, avant de prendre notre petit-déjeuner à la maison et de nous rendre à l'école. C'est Papa qui s'occupait de tout préparer, car Maman se levait tard, à cause de problèmes de santé et d'un état de dépression chronique.

 Une fois par semaine, la famille  au grand complet se réunissait autour des icônes du Christ et de la Vierge, pour offrir l'encens et réciter prières et litanies. C'est à travers tout cela que s'est enracinée peu à peu en nous une foi solide, profonde, naturelle, spontanée.

 Ayant été élevés dans des écoles tenues par des missionnaires, nous parlions français à la maison, comme la majorité de la bourgeoisie égyptienne. Le français représentait la langue de la culture et l'arabe la langue du peuple. Entre les deux existait un véritable fossé. Ce n'est qu'avec Nasser que tout a basculé.

 Bien qu'artiste et poète par nature, Papa s'était lancé dans le commerce, par nécessité. Il fallait bien gagner sa vie ! Et il la gagnait durement. Étant agent d'un certain nombre de sociétés européennes, il était obligé de voyager fréquemment à l'étranger. Parallèlement, il avait un commerce à son compte : flacons, essences, parfums. Cette marchandise s'entassait dans des dépôts sordides de la région du port, infestés de rats, de cafards et de toiles d'araignée. Il nous y emmenait parfois pour lui donner un coup de main : remplir des caisses, compter des flacons, adapter des couvercles, etc...  Nous le faisions volontiers : cela nous amusait... mais c'était un autre monde.

 Ses affaires ayant plus ou moins périclité, Papa s'engagea comme employé chez un de ses cousins, dont il était autrefois le patron. Ce fut pour lui une grande humiliation. Bien que tirant le diable par la queue, Papa faisait de tout pour que nous ne manquions de rien à la maison. Cependant, il fut obligé de demander des réductions à l'école Saint-Gabriel, chez qui il nous avait inscrits. Nouvelle humiliation. Il portait tout cela dans le silence et la dignité.

©Léon Boulad (Papa), dessin d'Henri : Septembre 1949

 L'école Saint-Gabriel faisait face à notre maison. Il nous suffisait de traverser la ruelle pour nous y rendre. Cette institution, tenue par les Frères des Écoles chrétiennes, était plutôt modeste, comparée au grand et prestigieux Collège Saint-Marc, où je ferai mon secondaire. Le milieu était nettement cosmopolite, à l'image d'Alexandrie. Ma classe représentait un vrai cocktail : des Syro-libanais, des Palestiniens, des Grecs, des Arméniens, des Maltais, des Italiens, des Yougoslaves, des Juifs, deux ou trois Français ou Anglais, et bien entendu quelques Coptes et Musulmans. Tout cela vivant en parfaite harmonie et amitié.

Bien que Grecs-catholiques, nous étions très marqués par les Latins, par suite de l'influence de nos éducateurs. Nous fréquentions de préférence l'église latine, à l'exception de papa qui penchait plutôt pour la byzantine, elle aussi toute proche de chez nous. Une fois l'an, il nous emmenait "faire nos pâques" à l'église grecque de la ville. Nous trouvions la communion byzantine beaucoup plus savoureuse que la latine, du fait qu'il s'agissait d'un vrai morceau de pain trempé dans du bon vin rouge sucré. Le Jésus latin, par contre, sous la forme d'une minuscule hostie toute plate, était plutôt insipide.

 La messe, quotidienne et obligatoire, entrait dans le cadre scolaire. En cours de journée, toute les demi-heures, un léger tintement de cloche interrompait la classe. Un des élèves, dans un silence recueilli, récitait alors cette formule :"Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu". Et la classe entière - chrétiens, juifs et musulmans confondus - de répondre d'une seule voix et d'un seul coeur :"Adorons-le".

 Je n'étais ni studieux ni brillant et me situais généralement parmi les bons derniers, sauf au secondaire où mes notes étaient moyennes. L'école m'ennuyait et, pendant les cours, mon esprit vagabondait souvent ailleurs. Ce qui ne m'empêchait de passer avec succès mes examens. J'y arrivais détendu, sans complexe ni crispation... "une fleur au chapeau, à la bouche une chanson"... Le plus étrange, c'est que ça marchait ! Je mentirais en disant que je ne trichais pas. Mais la tricherie n'avait pour nous aucune connotation morale. Elle était plutôt considérée comme une prouesse dont on se vantait.

©Henri - Salle d'études - Maison d'Ibrahimieh

Alexandrie Egypte - 1940

L'année scolaire était rythmée par des séances théâtrales, où je n'ai jamais eu droit à un rôle quelconque. On me trouvait sans doute trop pâle, trop timide. J'avais pourtant une envie folle d'y figurer, car je me suis toujours senti une vocation de comédien. Maman me le disait souvent en riant : "Comediante !" Étant de mère italienne, elle utilisait souvent des expressions dans cette langue, très répandue à l'époque.

 Mes goûts pour le théâtre ne pouvant se manifester dans le cadre de l'école, trouvaient d'autres exutoires. Aux fêtes, je me transformais en impresario et organisais en famille de petites séances pour mes parents. Il m'arrivait aussi souvent de me déguiser de la façon la plus cocasse, et d'aller ainsi dans les rues, travesti, chez des voisins, parents et amis pour les surprendre et faire le clown. J'aurais même fait cela, paraît-il, l'après-midi d'un Vendredi-Saint ! Une fois, à l'âge de sept ans, coiffé d'un vieux chapeau melon qui me descendait jusqu'au dessous des oreilles, je me suis rendu à l'école pendant la récréation de midi. Ce fut un déchaînement de fou rires dans toute la cour ! Maman observait le spectacle d'une des fenêtres de la maison en se tenant les côtes.

©Henri déguisé - Maison d'Ibrahimieh

Septembre 1947

 En fin d'année, c'était la grande fête sportive, avec fanfare, défilé, drapeau en tête, mouvements rythmiques des élèves en bel uniforme blanc, plus toutes sortes de compétitions qui nous fascinaient.

 Au cours de la deuxième guerre mondiale, des tranchées avaient été creusées dans la cour de l'école. En cas d'alerte, l'école entière s'y entassait. Autrement, ce labyrinthe devenait un lieu rêvé de poursuites et de cache-cache pendant les récréations. A la maison, lorsque les sirènes annonçaient une alerte la nuit, nous nous rassemblions tous - voisins compris - dans le corridor central de l'appartement, censé nous protéger d'éventuels bombardements. Quand les déflagrations se faisaient trop violentes ou trop proches, les rires et les conversations s'arrêtaient brusquement et l'on passait dévotement à la récitation du chapelet.

Le lendemain, dès l'aube, mes frères et moi parcourions la ville de long en large à la recherche d'éclats d'obus, que nous collectionnions. Notre manie de collectionner s'étendait aux timbres, aux marques de boîtes d'allumettes, aux coquillages et à toutes sortes d'objets hétéroclites dont nous remplissions tiroirs et armoires. Dieu merci, la maison était assez vaste pour permettre sans problèmes l'accumulation de tout ce bric-à-brac. 

©Excursion Coeurs Vaillants - Mariout

Henri soulevant un obus, avec Gilbert à sa droite vers 1947

Autre activité que nous pratiquions pendant notre adolescence : la chasse aux cailles. Nous nous rendions tous les matins à pied à Saint-Marc en longeant la corniche. Or, durant les mois de septembre et d'octobre, les cailles émigrent de Turquie, de Grèce et de Chypre pour hiverner en Égypte. Elles quittent ces pays au crépuscule, pour atteindre au petit matin les côtes égyptiennes. Épuisées par une nuit entière de traversée, certaines se cognaient au premier obstacle, d'autres se posaient sur le sable de la plage, tout engourdies et incapables du moindre mouvement. Il nous était alors facile de les saisir. Une fois arrivés à l'école, cachés derrière le couvercle du pupitre, nous commencions à les plumer. Au bout d'un moment, le duvet des volatiles s'élevait lentement dans l'air au grand dam du professeur.

©Henri, Jacques, Gilbert - Maison rue Memphis - 1935

 

©Henri et Jacques portant Maryse - Maison d'Ibrahimieh - Alexandrie - Août 1940

 Les difficultés pécuniaires de papa faisaient qu'il nous arrivait rarement d'avoir droit à des vêtements neufs, moi en particulier. En tant que benjamin, j'héritais en général les chemises, pantalons, chaussettes et chaussures qui avaient successivement servi à mes cousins et à mes deux aînés.

 D'autre part, pour les gens autour de moi, je n'était pas Henri, mais "le petit Boulad", ou encore "le frère de Gilbert et de Jacques". C'est souvent en référence à eux qu'on me désignait. Moi, je n'existais pas. Tout cela m'a évidemment marqué. Maman me reprochait sans cesse de me tenir voûté, ne se rendant pas compte que mon problème était psychologique et que ce n'était pas par un effort de volonté et à coup de remarques que je me tiendrais droit. Je me sentais inférieur aux autres... le petit, toujours le petit. Elle avait beau me dire : Mais redresse-toi donc, Henri, relève tes épaules... Cela ne servait à rien. 

©Henri jouant dans l'eau - Plage de Cléopâtre - Alexandrie - Novembre 1933

 Autre point que je voudrais souligner : le sens du don et du service qui s'est développé en nous à travers toute notre éducation. L'exemple de nos parents y fut pour beaucoup. Ils ont été pour nous des modèles de dévouement et d'abnégation.

  Papa, malgré une semaine épuisante, nous consacrait tous ses dimanches. Le matin, il nous initiait au dessin ou au travail manuel; l'après-midi, c'était la promenade en ville ou dans la banlieue : plage, corniche, parc nord, parc sud, jardin zoologique, visite d'une tante, d'un oncle... Ou encore, l'arrêt le long du chemin de fer pour regarder passer les trains. Cela nous fascinait. 

Quant à Maman, elle ne laissait jamais passer une misère sans lui porter secours. Je la vois encore, ayant servi le repas à tel ou tel pauvre du quartier, l'observer à travers la fente de la persienne pour jouir de sa joie et s'émerveiller de l'appétit avec lequel il ingurgitait sa pitance.

 Maman nous réservait en général ses débuts d'après-midi pour nous raconter des histoires, des contes, des légendes. Nous étions là, le coeur battant, l'imagination surexcitée, suspendus à ses lèvres, buvant ses paroles.

Ensuite, c'était pour nous l'arrosage du jardin ou, plus souvent, le déchaînement dans la cour arrière de la maison : jeux de toutes sortes, escalade du mur des voisins, construction d'une cabane dans un coin.... Des bagarres homériques opposaient régulièrement mes deux frères. Peu importait le motif : ce qu'ils cherchaient c'était un exutoire à leur agressivité débordante. Les corps roulaient à terre, dans un enchevêtrement, un entrelacement indescriptible de bras, de pieds, de mains, de jambes  : les chemises craquaient, les boutons volaient, les poitrines haletaient, le sang coulait. De temps en temps, une menace, un beuglement, un rugissement. Je contemplais le spectacle en comptant les points. Finalement les deux lutteurs se relevaient, bavant, satisfaits, se toisant avec dédain : chacun avait eu son compte et une part égale de claques et de coups de poing.

Ils étaient souvent interrompus par l'arrivée inopinée de Monsieur Nicolas Saada, qui fut notre précepteur pendant près d'une dizaine d'années et qui contribua grandement à notre formation. Ils nous aidait chaque soir à faire nos devoirs, à réviser nos leçons, à préparer nos examens. Comme il était un peu poète, il nous faisait goûter, en les récitant avec emphase, certains morceaux de l'époque romantique.

 Un mot du mouvement "Coeurs-Vaillants", qui nous a beaucoup marqués. Ce mouvement, que les Frères avaient lancé dans leurs écoles, est par certains côtés très proche du scoutisme. A travers réunions, excursions, camps et activités de toutes sortes, il nous a ouvert des horizons insoupçonnés et a développé en nous le sens du risque, de l'aventure, de la vie en commun, du don de soi. Il nous a aussi introduits à une spiritualité de type moderne.

©Henri avec les Coeurs Vaillants et Fr. Isidore, directeur de Saint Gabriel - Alexandrie - Égypte - Octobre 1941

 Je me souviens entre autres comment, jeunes adolescents, mes frères et moi, pendant les vacances d'été, nous rendions tous les matins à bicyclette au fin fond de la vieille ville pour animer des classes de récupération auprès d'enfants défavorisés auxquels on offrait ensuite le repas de midi. Nous acceptions ainsi, en plein été, de sacrifier les joies du bain de mer et de la plage pour encadrer ces enfants. Il est évident qu'à travers de telles expériences s'est développé en nous le sens du don et du service.

 Ces quelques touches suffiront à suggérer l'atmosphère familiale de mon enfance. J'aurais encore mille autres anecdotes à raconter, toutes plus savoureuses les unes que les autres; mais cela déborderait trop le cadre de cette entrevue.

 

 

 
 

Extrait de l'ouvrage

"31 jésuites se confessent",

publié en espagnol par le Jésuite

Valenti Gomez-Olivier y Josep M. BENITEZ,

sous le titre

''31 Jesuitas se confiesan''

Ed. Peninsula - Barcelona - 2003

 
 

 

 
   

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